Septième Dimanche de Pâques (année C)

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 2/06/19
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 2018-2019

Dans d’autres pays c’est aujourd’hui que l’on fête l’Ascension, en Belgique nous l’avons célébrée jeudi. Ce qui nous donne ce dimanche « entre deux » … puisque dimanche prochain ce sera la Pentecôte.

Un dimanche tellement « entre deux » qu’on peut se demander pourquoi soudainement ce coup de mou, de blues, ce grand retour en arrière au moment tragique de Pâques.

En effet, je ne sais si vous l’avez remarqué mais l’Évangile que nous venons de lire nous revoie à l’instant de la Passion : on est après le lavement des pieds et Judas vient de sortir pour trahir. Jésus sait qu’il mourra bientôt de cette trahison. Nous avons lu ce texte, il y a quelques semaines déjà, pour célébrer le Jeudi saint.

C’est un extrait de ce merveilleux discours que l’on appelle la Prière sacerdotale de Jésus, qui confie à son Père, d’une manière particulièrement touchante, ses disciples avant de consentir au sacrifice de la croix.

Cette évangile c’est presque le testament du Christ avant sa mort. Un simple prière d’abandon qui demande au Père de veiller sur ceux qui auront la foi : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi » rapporte le texte.

On est au point où l’incarnation de Dieu se trouve impuissante, au seuil de la Passion. Non seulement il ne reste que la foi, mais à ce moment précis, il ne reste que la foi du Christ ! C’est lui qui supplie Dieu. Les disciples, eux, s’endormiront.

Si l’Évangile que nous venons de lire évoque le point où l’incarnation de Dieu devient impuissante, à la Passion, l’Ascension c’est le point où l’incarnation de Dieu devient invisible.

L’Ascension c’est certes le Christ qui accomplit la voie vers Dieu, qui arrive pour nous aux cieux, qui nous montre le chemin. Mais l’Ascension signifie aussi l’ultime impuissance de l’incarnation : la présence de Dieu disparaît définitivement du regard des disciples. Et l’Esprit Saint – qui est une autre présence – ne leur a pas encore été donné. Il ne le reste plus que la foi.

Pour le dire autrement, entre Ascension et Pentecôte, la présence incarnée du Christ passe totalement dans l’ordre du souvenir …. Il y a comme un flottement de l’incarnation de l’Esprit de Dieu sur Terre. Une suspension ...

On parle ici de l’incarnation véritable de l’amour de Dieu, qui n’est donc plus qu’un souvenir, ou ressentie comme telle … On est à ce moment-là.

Dans quel état êtes-vous – dans quel état sont les gens – quand leur plus grand amour n’est plus qu’un souvenir ? Qu’il est désormais perdu de vue ...

Il y a en effet quelque chose du tragique de la passion qui se rejoue aujourd’hui, entre Ascension et Pentecôte : le Christ, cette présence incarnée de l’amour divin, s’est évanoui dans le ciel, il échappe désormais à notre regard, à notre considération. L’amour divin se dissipe, nous sommes à cet instant où nous ne le voyons plus et ce n’est pourtant pas tragique.

En effet, nous ne sommes pas tristes, les disciples ne sont pas tristes, effondrés par cette « disparition définitive du Christ visible », leur ami, leur maître ...

Parce ce qu’il y a eu des apparitions du Ressuscité.

La puissance résurrectionnelle, cet élan qui nous pousse à toujours en confiance nous relever, au fur et à mesure que nous la voyons à l’œuvre, porte notre foi.

Il y a comme une prise en étau de la liturgie de Pâques entre le Jeudi saint et aujourd’hui, que symbolise cette reprise de la Prière sacerdotale de Jésus, dans le chapitre 17 de l’Évangile de Jean. On est passé, entre deux, de l’espoir qui s’effondre en présence du Christ – la Passion – à l’espoir qui se maintient en son absence – l’Ascension.

Un autre moment bizarre des lectures du jour, et qui n’est pas sans lien avec ce moment de l’Évangile, est la présence au martyre d’Étienne du jeune Paul – qui s’appelait alors encore Saul, le seul nommé parmi ceux qui approuvent cette lapidation.

Clairement, Étienne – le premier martyr chrétien – est ici présenté comme un autre Christ. Remplacez « Étienne » par « Jésus » et « lapidation » par « crucifixion » et vous avez un nouveau récit de la Passion. « Seigneur, reçois mon esprit » ; « Seigneur, ne leur compte pas ce péché » ce sont des répliques des paroles du Christ en croix. Et là, devant ce premier chrétien qu’on martyre comme le Christ, il y a ce jeune homme, Saul, qui recevra bientôt la plénitude de l’Esprit-Saint.

Encore une fois, ce que nous présente ce récit est tragique sans l’être totalement. Du fait, précisément, que nous connaissons la conversion de Paul.

Pour Étienne qui meurt, il ne reste que la foi ; il ne sait pas que celui qui le regarde mourir deviendra apôtre, un champion de l’amour de Dieu. Pour Étienne, il ne reste que le tragique de la foi désespérément seule. Mais nous savons pertinemment que la présence de Saul, indique en creux, par son absence, cette folle espérance du don de l’Esprit-Saint, du retour de l’amour divin incarné qui était précisément la foi d’Étienne et le propos de sa prière.

La présence du futur Paul au martyre d’Étienne signifie clairement pour nous la présence d’un invisible espoir. Précisément ce qu’est la foi seule. On retrouve la tonalité du jour, ce tragique de l’absence que recouvre une espérance invisible qui l’atténue radicalement.

Pour nous, c’est essentiel. C’est penser qu’au delà de toute souffrance, au-delà du sentiment de manquer d’un amour vivant, voire au-delà du sentiment ultime d’abandon, il reste une plénitude d’Amour à l’œuvre, qu’on ne voit pas et qui va s’incarner dans le vide que l’on perçoit.

La foi c’est maintenir au plus profond de son absence visible, la présence invisible de l’amour.