21e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Au cours de sa marche vers Jérusalem, pour souffrir la passion, Jésus est interpellé au sujet du nombre des élus. Quelqu'un lui demanda : « Seigneur, n'y aura-t-il que peu de gens sauvés ?

Eternelle question, poussée par la peur de l'au-delà ! Question si bien manipulée par les prédicateurs, qui brandissent la menace pour asseoir leur pouvoir : le paradis pour ceux qui obéissent à Dieu et l'enfer pour les autres.

Avouons qu'il y a de quoi avoir peur. Le bonheur pour toujours ou les flammes éternelles. Et Jésus lui-même ne nous parle-t-il pas d'une porte qui est étroite ?

Les sectes chrétiennes sont friandes de ce genre de textes avec lequel il est facile de faire peur. Mais la foi au Christ doit-elle être terrifiante ? Le Royaume de Dieu est-il réservé à quelques privilégiés ?

En réalité, Jésus veut moins attirer l'attention sur le nombre des sauvés, que sur ce qu'il faut faire pour entrer dans son Royaume.

Mais alors, devant l'incertitude et le risque de perdre le ciel, le plus sûr ne serait-il pas de mettre toutes les chances pour soi ? La messe du dimanche, les confessions fréquentes, les communions nombreuses, le respect des commandements. Plus parfait serait-on, plus on aurait des chances.

Ce n'est pas comme cet homme là-bas, au fond de l'église ; encore est-il rentré. Mais que dire de tous ceux qui ne croient plus à rien !

Nous qui essayons d'être fidèles, nous aurions, au moins, une sorte de droit d'entrer. Nous lui rappellerions que nous avons mangé et bu en sa présence. Mais voilà qu'il répond : « Je ne sais pas d'où vous êtes » et il ferme la porte.

Dans l'image de la porte étroite, nous pouvons deviner l'expérience des premières communautés chrétiennes affrontées à la difficulté de croire en Jésus. On les présente parfois sous un jour idéal. Mais en réalité, déjà en ce temps il y eut des abandons et beaucoup de défections dans le rang des disciples. Comme son maître le disciple ne doit pas avoir peur de porter sa croix. Suivre Jésus n'était sans doute pas plus facile à ce moment là qu'aujourd'hui !

Pour « ceux qui font le mal », les malfaisants, le salut est impossible. Leur ancienne convivialité avec le maître de maison ne peut servir de laissez-passer. Le disciple ne peut se prévaloir de la connaissance de Jésus comme d'une assurance. La foi s'implique dans un faire le bien. En Mathieu, Jésus le dit d'une manière équivalente : »Il ne suffit pas de me dire : « Seigneur, Seigneur » pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux » De la part du Seigneur, il y a donc un encouragement à la fidélité concrète, se traduisant dans des comportement et des actes.

Si l'important est d'accomplir la volonté de Dieu, comment se fait-il que parmi les premiers installés dans le Royaume, certains seront jetés dehors ? On sait que le problème de l'accueil des païens dans l'Eglise s'est posé au tout début de façon aiguë et qu'il a engendré bien des disputes et des divisions, à commencer par l'opposition entre Pierre et Jacques d'une part et Paul, l'apôtre des nations d'autre part. Luc ne perd pas une occasion pour souligner les décisions du Concile de Jérusalem, dont il a lui-même fait le récit dans les Actes des Apôtres : les païens, eux les derniers venus, ont droit au salut comme les chrétiens d'origine juive, les premiers arrivés. En refusant l'accès de l'Eglise aux païens, les premiers venus s'excluent du Royaume. Ainsi, les premiers seront les derniers. Pour nous aujourd'hui, le Royaume n'est pas pour plus tard, il est déjà là. L'au-delà, est commencé. Son esprit, ses lois, ne sont pas comme les nôtres. Jésus apporte de nombreux bouleversements. Il met tout à l'envers. Pour lui, certains derniers seront premiers.

Il s'y est engagé. Il s'y est engagé. Il marche vers la passion. S'il s'arrête en chemin, c'est pour relever les blessés, guérir les malades, accueillir les exclus, réconcilier les pécheurs, pleurer devant la mort, celle d'un jeune homme qu'il rend à sa mère, celle de son ami Lazare. Il marche vers sa croix, lui devenu le dernier des derniers et le serviteur de tous.

Alors, aujourd'hui, du nord au midi, de l'orient à l'occident, des foules nombreuses marchent sur ses pas, poussées par son esprit, l'Esprit d'amour de Dieu. C'est la réalisation de ce que Dieu lui-même annonçait par la bouche d' Isaïe : « Je viens rassembler les hommes de toutes nations et toutes langues. Ils verront ma gloire. » L'évangile est annoncé parmi tous les peuples de l'univers et comme le dit encore le prophète : « Ces messagers annonceront ma gloire parmi les nations. » et paradoxalement l'incroyance progresse sans cesse dans nos pays de vieille chrétienté. N'imitons pas les fils d'Abraham, qui soucieux de garder leurs privilèges, refusaient à d'autres l'accès du Royaume. Faisons plutôt route avec les jeunes Eglises. La Porte est largement ouverte à tous.

2e dimanche de l'Avent, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Mais pourquoi saint Luc s'encombre-t-il l'esprit et donc le nôtre également de tant de détails tout à fait insignifiants. Ces derniers ne semblent rien apporter au récit : l'an 15, Pilate, Tibère, Hérode, Philippe, Traconitide, j'en passe et des meilleures. Il avait peut-être le goût de l'histoire mais quand même. Il y a moyen de prendre des chemins nettement plus rapides pour aller droit au but. Le message est très simple, juste une phrase, une petite phrase, la dernière : « et tout homme verra le salut de Dieu ». Il ne fallait rien dire de plus, tout est résumé en ces quelques mots. Ils se suffisent eux-mêmes. Oui, mais si nous n'avions pas eu tous ces petits détails en introduction aurions-nous pu nous préparer à recevoir une telle bonne nouvelle ? C'est un peu comme si on lisait l'évangile en commençant la célébration. D'abord, il y aurait tous ceux qui l'auraient manqué parce que leurs montres n'indiquaient pas la bonne heure ou que la nôtre avançait, et seraient arrivés en retard, puis il y a tous les autres, qui n'auraient pas eu le temps d'entrer dans un tel texte sans aucune rupture avec ce qu'ils faisaient avant.

Il y a donc lieu de se préparer. Tout simplement. Une bonne nouvelle se prépare à être reçue, pour être ensuite intériorisée. De la sorte, elle n'est pas seulement quelques phrases gribouillées sur le coin d'un parchemin, elle est devenue vie en nous. Alors heureusement que saint Luc a pris le temps, il nous permet de nous préparer. Et cette préparation à laquelle nous sommes conviés est une invitation personnelle faite à chacune et chacun d'entre nous. Pas moyen d'y réchapper, comme s'il y avait un RSVP (ou RSLP) dans le coin inférieur gauche de l'invitation et ce avant le 25 décembre de ce mois, s'il vous plaît. Il nous reste peu de temps pour aplanir cette route, notre chemin nous conduisant vers Dieu puisque c'est bien de cela qu'il s'agit en ce temps de l'Avent. Dieu, ce soir, nous fixe à nouveau rendez-vous pour une grande fête, celle de sa rencontre en notre humanité. Il nous indique l'endroit, c'est-à-dire au plus profond de nous-mêmes. Et malheureusement pour nous, il ne nous indique pas le chemin à suivre. A chacune et chacun de le trouver, à partir de son histoire et de ses certitudes. Il y a autant de chemins qu'il n'y a de personnes dans cette assemblée. Cependant, c'est la même voix, celle de Jean le Baptiste qui crie dans nos déserts intérieurs : préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route.

Qu'est-ce à dire ? Tout simplement, inviter Dieu à entrer en nous, et cela exige un fameux remue-ménage. Nos routes intérieures sont tortueuses de nos maladresses, parsemées de nid-de-poule d'hésitations et d'objections, glissantes de nos trébuchements et nos hésitations, durcies par nos entêtements. Elles ressemblent drôlement à certaines routes de Rixensart... Nous pourrions alors nous morfondre face à l'immensité de ce travail. Mais ce ne serait pas lire et comprendre l'évangile de ce soir jusque dans son dernier drapé : tous les hommes verront le salut. Une telle phrase serait une promesse de rêveur si elle ne nous ramenait à ce qui doit être sauvé en chacune et chacun de nous. Comme si se préparer c'était creuser dans notre terre propre jusqu'au moment où nous atteignons cette source d'eau claire à laquelle nous pouvons à nouveau venir nous abreuver, nous ressourcer pour repartir à la conquête de notre être intérieur, lieu de la rencontre avec le Christ. C'est faire de la place, enlever le secondaire et ainsi retrouver l'essentiel de nos existences.

Et si l'essentiel c'était d'oser à nouveau croire et proclamer à voix forte que Dieu s'est fait homme pour nous sauver. Mais, qu'est-ce, au fond, l'idée de salut ? Essentiellement ceci : que les choses peuvent être reprises, que rien n'est jamais perdu, définitif. Tout peut toujours reprendre, rien n'est inexorable, bref tout peut être sauvé. Comme s'il y avait une sorte de surabondance dans la venue de Dieu en nous. Si c'est tout cela, alors je crois que cela vaut vraiment la peine de s'y préparer.

Amen

3e dimanche de Pâques, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

« Je me casse que Jésus soit ressuscité, pour moi c'est le message qui est le plus important. Ma foi en la morale est plus forte que ma foi en Dieu », disait l'un d'entre nous en préparant cette eucharistie dominicale. Nous pourrions nous étonner de tels propos, cependant je crois qu'ils seront partagés par de nombreuses personnes de notre assemblée. C'est vrai, il est plus facile de croire en des valeurs de vie, qui nous aident à nous construire, que de croire en ce mystère, cette énigme, voire même cette question qu'est Dieu.

Celui-ci se révèle à nous de manière intéressante dans l'évangile de ce jour. Nous retrouvons un Christ que ses propres disciples ne reconnaissent pas. Et malgré cela, ils continuent de lui obéir et constatent que cette obéissance leur sera bénéfique. Ce soir, nous n'avons pas souhaité nous arrêter sur la pêche miraculeuse des 153 poissons représentant l'humanité entière mais plutôt sur le dialogue entre Jésus et Pierre. Quelqu'un me disait un jour que les « je t'aime » prononcés et offerts sont plus souvent des questions appelant une réponse similaire plutôt qu'une affirmation. C'est possible, je reste cependant convaincu que les « je t'aime » véritables sont ceux qui ne demandent aucune réponse, si ce n'est l'espace entre deux êtres pour que de tels mots puissent se chanter. S'il est vrai qu'ils sont trop souvent encore dans notre société difficile à dire, combien plus serons-nous mal à l'aise si nous avions à poser la question, « et toi, m'aimes-tu ? ». Nous ne la posons pas, pour ne pas embarrasser l'autre et peut-être aussi pour ne pas être déçu de sa réponse. En amour, en amitié, on ne ment pas... au risque de tout perdre sinon.

Le dialogue entre Jésus et Pierre est d'autant plus intéressant qu'il se situe à deux plans différents que le texte français occulte par sa pauvreté de langage. Nous sommes alors retourné au texte grec. Rappelez-vous, comme je l'ai déjà souvent dit, dans cette dernière langue, il y a plusieurs mots pour aimer. Le texte de ce soir nous en offre deux. D'abord, l'amour d'agapé, c'est-à-dire l'amour de raison, celui qui exige un acte de la volonté pour respecter chaque être qui nous entoure, lui donner l'espace nécessaire pour qu'il ou elle puisse se réaliser, s'accomplir sur le chemin de sa destinée. Vient ensuite, l'amour de philia, l'amour d'amitié, celui qui vient du coeur, que l'on ne peut justifier. Celui qui nous lie à l'autre par les sentiments. Amour de raison, amour d'amitié, deux types de relation. Nous savons au plus profond de nous-mêmes que nous ne pouvons nous contenter de nos solitudes, nous sommes avant tout des êtres de relation. Par trois fois, Jésus demande à Pierre s'il l'aime. Lors des deux premières questions, Jésus, dans le texte grec, pose la question en termes d'amour de raison que l'on pourrait traduire par « me respectes-tu, me permets de vivre ma vie comme moi je le désire » et Pierre réponds chaque fois « oui, je t'aime » mais son amour est un amour d'amitié. Ce n'est qu'à la troisième question que le Christ pose sa question d'aimer en terme d'amour d'amitié. Entre eux, il y a d'abord, le respect d'une autonomie nécessaire pour que la relation puisse s'établir. Ayant la conviction que cet espace existe entre eux, Jésus peut alors demander à Pierre si au-delà du respect, il y a des sentiments.

La relation entre le Christ et Pierre peut aujourd'hui encore dire quelque chose de notre propre relation à Dieu. Nous sommes conviés à ne pas nous enfermer dans une relation de raison, une relation intellectuelle, philosophique. La foi comporte aussi sa part de sentiments. Elle est un sentiment instinctif que nous essayons de comprendre tout au long de notre vie. Elle nous donne un cadre de valeurs. Et ce cadre, loin de nous emprisonner, nous donne des balises pour arriver à mieux vivre notre humanité telle que Dieu l'a vécue en se faisant homme. Pour nous le Christ devient un chemin à suivre pour vivre un jour le partage de sa divinité. Que préférons-nous, un amour de raison, un amour des valeurs ou un amour d'amitié, un amour de relation entre Dieu et nous ? Agapè ou philia ? A nous dans le plus secret de son être d'en décider.

Amen.

6e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Vous avez compris quelque chose à cet évangile ? Tous ces uns. Pour vous, je les reprends et ça me paraît bien compliqué. Qu'ils soient un, comme toi tu es en moi et moi en toi. Qu'ils soient un en nous, comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi. Et que moi aussi je sois en eux. Au premier abord, tout cela paraît bien malsain, comme si on se modelait l'un dans l'autre, une fusion parfaite au risque de nier notre propre individualité au nom de cette unité entre le Père et le Fils. Unité, unité au risque de se perdre, sommes-nous en droit de nous demander.

Mais de quelle unité s'agit-il donc ? Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une unité d'organisation, une unité d'Eglise, comme certains l'ont prétendu. Cette unité-là n'existe pas. Nous n'organiserons jamais nos églises de la même façon. J'en ai pour preuve la manière de prier : chacune et chacun vit sa rencontre intime avec Dieu à partir de sa propre histoire. Une relation s'établit entre Dieu qu'il soit Père, Fils ou Esprit, valeur de vie, Absolu. Chacun le définit à partir de ce qu'il en pressent. Je crois même pouvoir affirmer qu'au sein de notre propre assemblée, nous ne croyons pas tous les mêmes choses. Notre perception de Dieu est fonction de ce que nous avons reçu de Dieu lui-même et des lieux où notre foi a grandi. Il en va de même de nos célébrations, celles-ci sont influencées par les lieux, les groupes de préparation, les célébrants, la manière de chanter. Et pourtant ce soir, malgré toutes ces différences qui nous éloigne d'une certaine forme d'unité nous sommes là pour vivre de cette rencontre divine. Sans doute parce que l'unité dont le Christ nous parle dans l'évangile est une unité qui transcende, dépasse toutes ces différences pour rejoindre chacune et chacun dans une relation d'amour entendue au sens de respect, d'autonomie laissée à l'autre pour se réaliser.

Il me semble qu'ici nous nous situons donc au coeur de l'unité de relation personnelle. Nous sommes donc bien loin d'une quelconque idée de fusion idyllique qui emprisonne, voire même étouffe. Non le Christ Ressuscité nous convie à établir entre nous des relations d'amour puisque dans sa propre prière il demande au Père : pour qu'ils aient en eux l'amour dont tu m'as aimé. Et l'amour, comme le rappelle Christian Bobin, dans notre deuxième lecture, est manque bien plus que plénitude. Mieux encore, l'amour est plénitude du manque, une chose incompréhensible. Mais ce qui est impossible à comprendre est pourtant tellement simple à vivre, conclut-il.

Simple à vivre, vite dit, surtout lorsque nous lisons l'histoire de l'humanité, notre humanité. Nous sommes confrontés à un certain danger qui risque de tout faire basculer, celui d'aimer plus nos organisations et structures d'Eglise, nos crédos, nos rites, que de nous aimer l'un l'autre. Nous nous enfermons alors en nous-mêmes dans des barrières, importantes peut-être, mais qui ne conduisent pas à la vie, puisque son fondement n'en est plus au coeur. Une organisation, un crédo, un rite sans amour est quelque chose qui petit à petit se dessèche et meurt. Seul l'amour fait vivre et donne vie. Et pourtant, il nous fait peur cet amour et alors nous nous mettons à fuir et nous nous contentons de ce que les journaux, la radio et la télé nous crient chaque jour, c'est-à-dire que des hommes et des femmes tuent, humilient, torturent. Nous nous réjouissons du malheur des autres mais sans le faire nôtre. Et nous voilà partis dans la spirale des cancans et des ragots que nous parviendrons toujours à justifier par un soi disant souci de l'autre, n'oublions pas, nous sommes des êtres intelligents et que nous sommes les rois et les reines des excuses faciles. Mais le ragot est tellement loin de l'amour. Comme si le malheur de l'autre nous rassurait ; par lui nous nous mitonnons notre petit coin de bonheur. Cette dynamique nous conduit à dire : « aimons-nous, comme on s'aime dans le monde de Dieu ». Cependant, l'évangile nous invite à nous aimer comme Dieu nous aime. Là est toute la différence. Et c'est si simple à réaliser. Plutôt que de nous contenter du malheur des autres ou de s'en apitoyer, pourquoi ne pas commencer à nous émerveiller à nouveau devant des simples gestes de la vie véhiculé par l'amour, des actes de tendresse et d'amitié, des solidarités. Nos vies en sont parsemées. Prenons le temps de nous tourner vers tout ce qui se fonde sur l'amour et alors se réalisera la prière de Jésus : « qu'ils soient un comme nous sommes un ».

Amen.

Le Corps et le Sang du Seigneur

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 1997-1998

Le jour baisse. La nuit tombe. L'obscurité s'installe au désert et l'inquiétude également. Les douze se demandent que faire pour nourrir cette foule ? "Renvoie-les" disent-ils à Jésus. "Ils pourront aller dans les villages pour y loger et trouver de quoi manger. Ici, nous sommes dans un désert."

Nous aussi, comme les douze et les disciples, nous avons écouté souvent sermons et homélies sur le Royaume de Dieu. Et nous y avons cru. Et voilà que maintenant, tout à coup, nous ne voyons plus clair. L'obscurité s'installe aux déserts de nos vies ! Tant de questions se posent.... Que va-t-on devenir ? Quels seront nos vieux jours ? En l'an 2002, l'Etat pourra-t-il encore payer les pensions ? Avec l'Euro que vont devenir nos économies personnelles ? Pourra-t-on encore soigner tout le monde et mettre à la disposition de tous ces traitement coûteux qui prolongent la vie ou guérissent les cancers ? Ne va-t-on pas bientôt régionaliser la sécurité sociale ? Les pauvretés et les misères risquent alors d'augmenter chez nous et de multiplier toutes les violences qu'elles entraînent. ! Quelle terre sera pour nos enfants ? Avec le réchauffement de la planète et les déchets nucléaires dont on ne sait que faire ! N'auront-ils à manger que de la viande aux hormones ? Quelle eau boiront-ils ? On voudrait des réponses, des sécurités et il semble que Dieu reste muet.

Alors tous les bons apôtres ont cru pouvoir nous répondre : "Allez dans les fermes des environs, trouver de quoi manger et de quoi vous loger" ! "ce n'est pas notre rôle à nous de nous préoccuper de cela. Nous, nous sommes témoins d'un autre monde. Nous prêchons le ciel. Le paradis n'est pas sur terre". Ainsi, ils nous ont affirmé que le bonheur n'était pas pour maintenant mais pour plus tard. Et ils ont ajouté : "Notre pain à nous, c'est celui du ciel, pain et vin consacrés où Dieu se rend présent. Adorez-le, à genoux, devant le Saint Sacrement. Priez beaucoup pour mériter la vie éternelle que Dieu promet à ceux qui mange de ce pain-là" "Pour le reste, allez voir ailleurs chercher votre nourriture quotidienne. Dans le monde, il faut que chacun se débrouille, qu'il travaille et tire son plan. C'est la loi aujourd'hui : que le meilleur gagne" Et je me suis demandé : serait-ce là vraiment le temps de l'Eglise ?

Dans l'évangile de ce jour, nous voyons Jésus lui-même réagir. Il impose aux disciples de s'occuper réellement de ces questions matérielles : "Donnez-leur vous-mêmes à manger". Pour Jésus, il n'est pas question de renvoyer la foule. C'est au douze à faire le nécessaire pour la nourrir !

Alors ces derniers protestent : "mais nous n'avons pas plus de cinq pains et deux poissons... à moins d'aller nous-mêmes acheter de la nourriture" Mais Jésus va les obliger à donner eux-mêmes en partage ce peu de nourriture qu'ils possèdent. "Faites-les asseoir par groupes de cinquante." Et les apôtres ont réparti la foule par groupes d'environ 50. Comme ils étaient 5.000 personnes, cela fait une centaine de petites communauté où l'on se distribue les pains et les poissons, où chacune et chacun partage avec les autres le peu qu'il a, où dans la joie, toute eucharistie est geste de partage si humble soit-il !

Le temps de l'Eglise est donc le temps où chaque groupe chrétien, chaque petite communauté constituée, qu'elle soit paroisse, équipe, communauté religieuse ou simple groupe, doit se préoccuper de partager les biens élémentaires à l'existence. La vie éternelle, le bonheur profond apporté par Jésus, le royaume de Dieu, commence toujours ici-bas par ce partage, par cette répartition entre tous des richesses matérielles indispensables à la vie digne, de manière à ce que tous les membres de la communauté aient de quoi vivre décemment.

C'est aussi ce que nous enseigne l'apôtre Paul dans la seconde lecture. Il est nécessaire de la remettre dans son contexte. Paul rappelle, comme venant du Seigneur, la manière de faire mémoire de sa mort et de sa résurrection. Mais c'est pour reprocher aux Corinthiens leur façon scandaleuse d'agir dans leurs réunions. Leur conduite n'est pas conforme à la volonté du Christ qui veut qu'en frères on partage les biens nécessaire à la vie. En effet, à Corinthe, tandis que certains mangent abondamment, d'autres ont faim et après ce scandale, tous ont l'audace de célébrer le rite de la Cène. En fait, "Ils mangent et boivent leur propre condamnation."

Deux remarques pour terminer :

1) Pour raconter la multiplication des pains, l'évangéliste utilise la même formulation que pour décrire la cène du Jeudi-Saint.

Comme la veille de sa mort, Jésus prend le pain, et les yeux levés au ciel il prononce la bénédiction. Ensuite il rompt les pains et les donne aux disciples, pour que ceux-ci les partagent avec la foule. C'est bien montrer le lien existant entre ce partage de la nourriture et l'Eucharistie. IL est donc impossible pour nous de célébrer l'Eucharistie sans partager nos biens avec ceux qui autour de nous sont dans le besoin.

2) Quand on partage, il y en a toujours de trop. Ainsi, après le partage des pains et des poissons, on ramassa les restes. Les disciples remplirent douze paniers avec tout ce qui restait. Il y en avait donc bien de trop !

Quand on veut garder tout pour soi, on a toujours peur de ne pas en avoir assez. Alors on amasse sans cesse, dans la crainte d'en manquer à l'avenir. Mais quand on accepte de tout partager, il y en a beaucoup trop. Chacun voulant être délicat, fait attention à l'autre et ne prend que ce qui lui est nécessaire absolument maintenant. De ce fait, il en reste toujours.

6e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

A force de les avoir tellement entendues, ces béatitudes, nous pourrions être pris par ce sentiment où nous avons l'impression que tout a déjà été dit, qu'il n'y a plus rien à ajouter, comme si elles avaient au cours des années été galvaudées. Cependant, croire que nous les possédons à ce point, risque de nous en faire oublier le caractère particulièrement révolutionnaire.

Les béatitudes sont un chemin de bonheur proposé ; elles nous sont données comme des éclairs au milieu d'une tempête, notre tempête. Elles bousculent, surprennent, déconcertent, et font voler en mille morceaux nos idées bien établies. (Comme si, faisait remarquer un de ceux qui a préparé cette eucharistie, Jésus avait bu un petit verre en trop avant de les dire. Ivre de vin, non, ivre de vie, certainement.) Elles sont la réponse du Christ aux dix commandements, ces lois anciennes qui donnaient déjà un chemin possible de bonheur. Mais à la différence de ces dernières, les béatitudes ne s'enferment pas dans des prescrits de lois énonçant ce qu'il y a lieu de faire. Non, les « heureux » et « malheureux » de l'évangile de ce matin (soir) sont non des normes mais des défis lancés à chacune et chacun d'entre nous dans la quiétude de nos vies et que nous sommes appelés à relever.

Le défi du Christ, dans notre quête incessante de bonheur est de nous inviter à voir si nous souhaitons investir dans le court ou le long terme. Il nous rappelle que, même si sur terre, le tout, tout de suite est une valeur ; cette immédiateté fait hélas de nous des êtres déjà consolés et repus, pour reprendre les termes de Jésus. Or, le bonheur n'est jamais un état atteint, il se projettera toujours dans un avenir. En effet, l'amitié, l'amour prennent du temps, le temps de se construire peu à peu, au hasard des rencontres. Leur objectif n'est jamais comblé, sinon la relation se meurt. Fort de ce constat, pour être heureux à long terme, il y a alors lieu d'oser vivre l'expérience du manque, du vide. C'est à partir de ce dernier que l'existence surgit, qu'une relation plus libre à l'autre et à Dieu peut se réaliser. « Si je suis vide de tout, c'est afin de pouvoir mieux vous attendre » dit Don Camille dans le Soulier de Satin de Paul Claudel. Telle est l'expérience de la pauvreté, de la nudité de l'esprit.

La béatitude devient ainsi un défi au détachement. L'autre, l'être aimé ou Dieu ne peut se donner que si le coeur s'est préparé, dilaté en quelque sorte, pour l'accueillir. N'est-il pas vrai que bien souvent nous ne recevons de l'autre que ce que nous sommes nous-mêmes capables de recevoir. Et pour recevoir, il faut qu'il y ait un espace en nous. Si nous sommes comblés, rassasiés, repus, il n'y a pas de rencontre possible. La faim, l'attente sont des flèches qui nous propulsent dans un avenir où nous espérons que le bonheur se conjuguera toujours au pluriel.

« Fais-toi capacité, je me ferai torrent » entendait Thérèse d'Avila. Avoir soif d'amour, avoir soif de Dieu, voilà le défi des « heureux êtes-vous » de ce matin (soir). Ne jamais se sentir combler pour pouvoir partir à la quête d'un plus et d'un mieux à toujours découvrir et partager. Le merveilleux des béatitudes, c'est qu'elles nous font ressentir que le vide est ce temps nécessaire pour vivre d'un désir de tendresse. Alors effectivement, le Christ a raison d'insister sur les « malheureux êtes-vous ». Non pas pour nous culpabiliser, mais plutôt pour nous faire découvrir que certaines valeurs et attitudes de notre monde, si elles sont vécues de manière égoïstes ou extrêmes empêchent tout naturellement qu'une véritable relation puisse s'établir soit entre nous, soit avec Dieu. Etre, de suite comblé, c'est passé à côté des mille beaux côtés de la vie ; c'est s'enfermer dans une solitude toute nourrie de son confort ; c'est à long terme, perdre le goût de l'existence. Heureux sommes-nous de pouvoir relever chacune et chacun avec ce que nous sommes, ces défis de Dieu. Alors, nos choix quotidiens sont-ils vécus à court ou à long terme, nos options de vie sont-elles guidées par la philosophie des « heureux » ou celle des « malheureux », avons-nous toujours faim et soif de Dieu et des autres. N'attendez pas de moi une réponse, elle est tout simplement, tout tendrement, en vous, puisque « heureux, êtes-vous », nous chante le Christ. Amen.

22e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Quand nous parlons du Royaume de Dieu, du ciel ou de l'au-delà, nous sommes incorrigibles. En effet, ou bien nous l'oublions, parce que cela nous dérange, ou bien nous le voyons là-haut dans les nuages ! Et souvent nous le reportons à plus tard et le plus tard possible. De plus nous le voyons comme un lieu de bonheur. Un grand bonheur qui est à conquérir, un peu comme une de ces médailles que gagnent les champions. Nous pensons le ciel comme un lieu de récompense pour une vie d'efforts, de vertus, de mérites.

Par contre, Jésus quand il en parle, c'est pour le comparer à un festin de noces où l'on est invité ! L'évangile de ce jour nous présente Jésus, invité à dîner chez un chef des pharisiens. Il remarque que les convives prennent les premières places. Alors il va puiser dans la Tradition, dont se réclament d'autre part les pharisiens. En effet, au livre des Proverbes, dans la littérature des sages d'Israël, il est écrit : « En face du roi, ne prends pas des grands airs et ne te mets pas à la place des grands. Car il vaut mieux qu'on te dise « monte ici » que d'être abaissé en présence du prince. » A partir de là, Jésus conseille à ses disciples de ne pas rechercher à occuper les premières places.

Aujourd'hui, nous chrétiens, nous recherchons au moins les premières places au dernier hit-parade des vedettes du bien et de la bonne conduite. Nous portons nos vertus comme des décorations. Nous additionnons nos mérites comme dans un concours. Nous gagnons notre paradis à la force du poignet. Il nous arrive même de faire la leçon à d'autres qui sont pécheurs et qui ne méritent pas selon nous d'aller au ciel.

Mais, selon Jésus, on ne s'invite pas à un festin de noces. On ne peut être qu'invité par celui qui l'organise. On ne peut être qu'invité par Dieu

Et en effet, c'est Lui qui invite. Et Jésus nous dit qu'il invite les pauvres, les laissés-pour-compte, les boiteux, les aveugles et tous ceux que la vie relègue aux dernières places. D'ailleurs, ce sont ces places là que jésus choisissait lui-même. Il mangeait avec les pécheurs, ceux qui n'ont rien à perdre et qui risquent tout sur Lui. A leur plus grande joie et au scandale des autres ! Un jour Il leur dira : « Mes amis, avancez donc plus haut » car il accueille sans réserve et invite gratuitement.

Les pauvres sont les privilégiés de Dieu du fait même de leur pauvreté. Comme dans une famille, où tous les enfants sont aimés par les parents, mais ceux-ci marquent une attention plus particulière à l'enfant handicapé, parce que son handicap le place dans une situation plus délicate que celle des autres.

La pauvreté est un mal et Luc n'en fait pas l'apologie. Pour lui, la Bonne Nouvelle de Jésus c'est précisément le renversement de situation : les pauvres vont sortir de leur situation de misère. Voilà pourquoi ils sont heureux, parce que l'heure de leur libération est proche.

Jésus est venu inaugurer le Règne de Dieu pour faire disparaître le scandale de la pauvreté. Par ces gestes, il a manifesté l'arrivée de ce Règne, en guérissant les malades, en accueillant les marginaux et les exclus.

Les disciples ont a donner les signes de ce Royaume en faisant en sorte qu'à l'image du Christ, leur Seigneur, ils fassent disparaître la pauvreté. Les chrétiens ont à combattre aujourd'hui les situations de misère.

2e dimanche de Pâques, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Mais comment peux-tu croire à tout cela, lui dit-elle ? Une vraie perte de temps, ça ne sert vraiment à rien, ce sont des histoires de grand-mère ? Comment peux-tu imaginer aujourd'hui encore croire à cette idée qu'un homme tel que ce Jésus est ressuscité ? Je ne comprends pas que tu puisses avoir la foi ? Oui, sans doute cela te rend la vie plus facile, conclut-elle avec un brin de condescendance, voire de mépris dans le regard. Pauvre de moi, pauvre de nous face à de telles questions, de tels jugements. Comme si c'était si facile de croire « à tout cela ».

La foi n'est pas une certitude, elle est plutôt une espérance, une conviction intérieure que face à tous les mystères de vie qui nous entourent, il doit bien exister une explication. Mais cette espérance ne suffit pas à elle-même, une fois pour toute, comme si tout était dit, comme si notre décision étant sans appel possible. Non, la foi en ce Dieu trinitaire dont nous célébrons en ce temps de Pâques, le mystère de la résurrection, est à conquérir, reconquérir chaque jour. Elle ne nous est jamais acquise, un peu comme l'amour d'ailleurs. Cette foi, qui par moment nous colle à la peau et à d'autres reste une question, demande que nous nous investissions, elle ne peut se contenter de nos somnolences. En effet, ce Dieu en qui nous croyons et qui est la raison de notre présence en ce lieu, est un Dieu exigeant qui nous offre la liberté de croire, la liberté de répondre au don de la foi.

Ce serait tellement plus facile de ne plus se poser de questions, de vivre une foi de charbonnier mais nous risquons alors de stagner, de vivre en des eaux dormantes, troubles où nous ne partirions plus à la rencontre d'un Dieu, notre Dieu, qui continue de se dévoiler à nous chaque jour dans les signes des temps. Signes qui ne peuvent être lus qu'avec les lunettes de la foi. Une foi qui parfois brûle en nous comme un feu ardent, parfois tout simplement, tout silencieusement comme la flamme d'une bougie. Ne craignons pas cette dernière, n'est-ce pas elle qui illumine notre tabernacle intérieur, tout empreint de sa présence divine. Elle est là, nous indiquant au plus profond de notre silence, que Dieu ne s'est pas éloigné de nous, qu'il vit en nous. Il nous suffit de reprendre notre pélerinage pour repartir à sa rencontre. La foi devient alors un peu comme les marées de la mer, elle vient et elle va. L'important, c'est qu'elle soit toujours là et ça, c'est à nous, et uniquement à nous, d'y veiller.

Mais le doute est bien là, me direz-vous ? Et c'est vrai, il est en nous, parfois, de temps à autre ou souvent même. Cela dépend de tant de facteurs. Ce doute peut nous faire peur, faire ébranler un édifice de certitude et pourtant, il est intégralement lié à notre désir de croire. C'est en cela que l'histoire de l'évangile de ce jour est merveilleuse. L'histoire de Thomas devient ainsi un peu notre histoire. Il n'est pas le jumeau d'un quelconque frère de sang comme nous pourrions l'imaginer, non il est notre jumeau dans la foi, notre jumeau dans l'incrédulité, dans le doute. Thomas, il est un peu une partie de nous. Il est celui qui doute. Mais heureusement pour lui, heureusement pour nous, lorsqu'il se met à douter, il ne se coupe pas de sa communauté. Il ne jette pas l'éponge, retournant à sa vie d'avant comme s'il n'y avait rien eu. Non Thomas, tout en doutant, reste auprès des autres apôtres. Il sait que la foi ne se nourrit que dans un partage, en communauté. Sans cette dernière, il ne pourrait pas tenir. L'incertitude se transforme en certitude au contact de nos pairs, de celles et ceux qui nous entourent et partagent nos convictions. Grâce à cela, il se laisse approcher par le Ressuscité et dépasse son incrédulité. De son doute, va naître son cri, déchirure au coeur de lui-même, lorsqu'il dit au Christ : « mon Seigneur et mon Dieu ». Pour la première fois, Jésus est reconnu Dieu par l'un des siens. Il aura fallu qu'il passe par le mystère de la croix pour être reconnu comme tel. Que de nos doutes à nous, naissent également pareil cri. Alors, c'est vrai, il n'est pas facile de croire tous les jours, mais quand revient en nous cette conviction, cette certitude, cette espérance, la vie reprend ses couleurs vives de Pâques. Amen.

3e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

"Tous avaient les yeux fixés sur lui"

Dans la synagogue de Nazareth, en ce jour de sabbat, il s'était mis debout pour faire la lecture. Et, bien sûr, tous les regards des assistants étaient tournés vers lui. Pensez donc, ce fils du charpentier avait quitté le village depuis quelque temps. Maintenant on parlait de lui dans toute la région. Partout on faisait son éloge. En revenant chez lui, qu'allait-il donc leur dire ?

Dans le livre d'Isaïe, Jésus choisit le passage qui décrit la vocation d'un prophète investi par l'Esprit de Dieu. Ce prophète est envoyé pour proclamer une bonne nouvelle de libération en faveur des pauvres, des prisonniers, des aveugles et des opprimés. Ce choix de Jésus était déjà étonnant ! Car le maître de la synagogue les avait habitués à écouter, à chaque assemblée, les multiples préceptes de la thora, ...au point même de leur donner des complexes. En effet, à tous les tournants, il les traitait d'ignorants, d'incapables d'accomplir la loi. Il les accusait d'être des pécheurs. Et Jésus lui, se mit à lire : " Le Seigneur m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle " Tous avaient les yeux fixés sur lui. Ainsi donc, c'était possible : une parole de Dieu qui soit Bonne Nouvelle !

Raison de plus de garder les yeux fixés sur lui quand il ferma le livre et se mit à parler. "Cette parole, dit-il, que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit". Il ne s'agissait pas d'une parole du passé, du bon vieux temps quand Dieu parlait encore par les prophètes pour corriger les rois ou reprocher les infidélités de la nation. Il n'était pas question non plus de s'évader, en rêve, dans un avenir lointain, attendu patiemment, où le messie viendrait chasser l'occupant, rétablir la justice et assurer la suprématie d'Israël sur les autres peuples. Ainsi, c'était possible une parole de Dieu qui soit pour aujourd'hui. !

Ces gens de Nazareth ont eu raison de garder les yeux fixés sur lui. Car voici qu'il précisait : "Bonne Nouvelle aux pauvres, aux prisonniers la liberté, aux aveugles la vue et la libération pour tous les opprimés. Pour tous une année de bienfaits de la part du Seigneur". Dès lors, ils ne pouvaient plus rester là à regarder. S'ils le voulaient, ils pouvaient eux-mêmes devenir partie prenante du bouleversement que Jésus déclenchait. Il invitait au bonheur et il apportait une parole de Dieu qui soit pour les petits, pour les pécheurs, une parole de Dieu qui soit enfin libératrice ! Il annonçait cette année de bienfaits accordée par Dieu. Une année jubilaire, non pas comme celle que nous allons vivre en l'an 2000, faite principalement de réflexions et de prières, mais une année jubilaire qui arrive tous les cinquante ans, où les champs demeurent en repos, où les esclaves recouvrent leur liberté, où les terres aliénées reviennent à leurs anciens maîtres, où les dettes sont remises. La vie peut donc recommencer à neuf. En effet, quand Dieu parle, quand Il vient lui-même à la rencontre des siens, son message est toujours porteur d'un amour pour les plus faibles, porteur d'une libération pour ceux qui souffrent et d'une grande joie pour tous ! C'était déjà le cas, 400 ans auparavant, lors du retour d'exil, quand les rescapés sont rentrés au pays, que les murs du temple ont été relevés et que toute la ville de Jérusalem a célébré à nouveau la fête des tentes. Le prêtre Esdras fit la lecture publique de la Loi. Si certains pleuraient en regrettant de n'avoir pas observé les commandements, Esdras les rassurait en leur disant : "Ne vous affligez pas. Festoyez et partagez avec ceux qui n'ont rien de prêt. La joie du Seigneur est votre rempart". Dans le récit de Luc, Jésus a conscience d'être cet Envoyé de Dieu qui révèle à ses contemporains la puissance de l'amour divin et actualise la volonté de salut du Dieu vivant ! Toute sa prédication, tous ses comportements, tous ses gestes ne seront que la réalisation et la mise en oeuvre de cette Bonne Nouvelle de salut pour tous. La suite du récit de Luc nous dira que les Nazaréens, interpellés par la prédication de Jésus, ne l'ont cependant pas suivi. Pouvons-nous juger sévèrement ces gens de Nazareth ? Non, car si les siècles ont passé depuis la rédaction des textes de Néhémie et de Luc, la situation précaire de l'ensemble de l'humanité n'a guère évolué. Les injustices, le mal moral et social sont toujours bien présents comme si le message biblique n'avait rien changé et restait un voeu pieux, une vue de l'esprit, réservé au domaine de l'utopie. Et "Aujourd'hui, cette parole s'accomplit-elle ?" La question est posée. Nous qui prétendons tous être disciples de Jésus aurons-nous à coeur de traduire dans nos actes cette Bonne Nouvelle de salut que leur Maître nous a chargés d'annoncer ? Comprenons-nous que, maintenant encore, nos yeux peuvent fixer le visage de Jésus ? Car lorsque nos coeurs battent en harmonie avec son message et surtout quand nos actes s'y conforment, nous accomplissons aujourd'hui cette parole de tendresse que Dieu lui-même adresse à notre monde.

13e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Un graduat un marketing n'aurait vraisemblablement pas fait de tort à Jésus. C'est vrai cela lui aurait pris ses trois années de ministère, mais quand même. Embaucher les gens en les décourageant à ce point, c'est presque tout mettre en place pour que le projet rate dès le départ. S'était-il lever du pied gauche ce matin-là ? Ne voulait-il comme disciples que ce que les anglais appellent « la crème de la crème », un Dieu élitiste ? Beaucoup de questions à partir de notre évangile. Je nous propose alors de passer en revue les trois rebuffades de ce jour et de voir si elles sont encore d'actualité pour nous ce soir (matin).

« Le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer sa tête ». Une première exigence de vie nous est proposée, celle de ne pas nous installer, nous enfermer non dans le confort mais dans l'hyperconfort. C'est-à-dire de ne pas succomber à toutes les tentations offertes comme si elles étaient la raison même de la vie. Elles sont là, mais sont des moyens et non des fins en soi. Elles sont des moyens que nous nous donnons pour que la rencontre puisse se vivre. Avec de tels mots, le Christ met des exigences à ce point élevées que nous ne pourrons jamais lui reprocher de nous avoir trompé sur la marchandise. Faire vivre le Royaume de Dieu, en être membre, ce n'est pas rien puisque, comme saint Paul, le rappelle, c'est tout simplement, tout difficilement ce commandement « tu aimeras ton prochain ». Et pourtant télévision et journaux par la publicité nous montrent tant de choses, souvent superflues que nous avons envie d'acquérir pour notre propre confort. Celles-ci nous éloignent de la valeur de l'amour et dès lors rend notre vie à la suite du Christ plus difficile encore. Par ces mots, Jésus nous rappelle que l'essentiel est ailleurs que dans le matériel. Il est en nous, il est nous, comme le rappelle l'enfant de la deuxième lecture.

Vient alors la seconde rebuffade : « laisse les morts enterrer leurs morts ». Nous pourrions trouver ici, un Jésus contradictoire, sans coeur, ne permettant pas à un homme de vivre pleinement son deuil. J'aime assez l'interprétation qu'en donne William Barclay, théologien anglais qui raconte l'histoire suivante. Il y a quelques années, un fonctionnaire anglais vivant au Moyen Orient proposa à un jeune arabe très brillant une bourse pour aller étudier à Oxford (ou à « the other place », endroit qu'un Oxonien refuse de nommer). Celui-ci répondit évidemment « j'accepte volontiers votre offre mais laissez-moi d'abord enterrer mon père ». Normal, me direz-vous. Voilà un bon fils. Pas tout à fait, parce qu'à cette époque, le père du jeune arabe avait juste 40 ans et se portait à merveille. Ce fils, comme sans doute celui de l'évangile, avait peur de quitter ce qu'il connaissait pour se lancer dans l'inconnu. Cette phrase du Christ pourrait alors être comprise comme une invitation à plonger dans la vie au lieu d'aller rejoindre celles et ceux qui se contentent de la non-vie ou d'un vivotement. Comme il l'a dit ailleurs, chez Jean, « je suis venu, pour que vous ayez la vie en abondance ». Nous suivons le Christ lorsque nous cherchons tout ce qui favorise la vraie vie, celle qui fait grandir et qui nous épanouit.

Venons-en alors à la troisième rebuffade : « je te suivrai, mais laisse-moi, d'abord faire mes adieux ». Que de fois dans nos vies, ne remettons-nous pas au lendemain, ce que nous pourrions déjà faire aujourd'hui. Le problème, c'est que lorsque nous ratons une occasion, celle-ci s'offre rarement à nous de nouveau. Nous sommes passés à côté à force de lanterner, d'hésiter, comme si nous étions restés dans l'émotion sans être capable de passer à l'action. Si vous connaissez un peu la culture de la bande dessinée, le personnage qui illustre mieux ce comportement dénoncé par le Christ, c'est Gaston Lagaffe qui lorsqu'il range le courrier urgent fait des piles sur son bureau. La pile d'aujourd'hui pousse celle d'hier qui pousse celle d'avant hier etc. pour toutes aboutir dans la poubelle placée à côté du bureau. A force d'attendre, on ne fait rien. Et Jésus nous demande d'agir dès le moment où l'occasion nous est donnée et de ne pas nous enfermer dans un « lendemain à faire » qui ne viendra jamais.

Trois rébuffades pour un seul message : l'essentiel est en nous pour plonger dans la vie et aller toujours de l'avant, sans attendre. Comme si Jésus, en forme de clin d'oeil avant ce temps de vacances nous disait à chacune et chacun : à bon entendeur, salut. Amen.

24e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

« Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus », nous disait l'évangile. J'ai l'impression que ce n'est plus vrai aujourd'hui. Ce sont les gens bien, les personnes pieuses qui vont à Lui. Les autres, ceux qui sont loin de l'Eglise, ceux qui ne sont pas en règle qui sont mal vus par les bien pensants, les pécheurs, ne vont pas vers Lui. D'ailleurs l'homme actuel vit des problèmes très différents : dans sa vie de famille, sa vie de couple, sa profession. Et puis, il y a aujourd'hui tous les problèmes d'éthique, face à cette vie que l'on maîtrise actuellement grâce aux progrès des sciences. Il y a également tous les problèmes sociaux : les riches qui s'enrichissent et les pauvres qui s'appauvrissent, et la faim répandue encore dans le monde, spécialement au Soudan ou ailleurs. Il y a encore la recherche de sens. Les hommes ne se reconnaissent plus en ce Dieu qui a régenté le passé, le tout puissant qui tolère les guerres, les catastrophes naturelles. Les gens fuient vers d'autres cieux pour y chercher d'autres dieux : on parle beaucoup des spiritualités orientales, d'autres font du yoga ou suivent le zen. Il y a tout un mélange de croyances diverses, un peu à la mode. Certains appellent cela le nouvel âge !

L'évangile ajoutait : « les pharisiens et les scribes suivaient aussi Jésus », mais eux, c'était pour récriminer contre Lui, ou pour l'espionner et lui tendre des pièges. J'ai l'impression que cela est encore vrai aujourd'hui. Ils sont toujours là, plus forts que jamais. Ils relèvent la tête. Ils rappellent des lois qui ne pourraient changer. Quand ils paraissent crispés, c'est parce qu'ils ont peur de perdre le pouvoir qu'ils avaient autrefois. Ils trouvent leur fierté dans la fidélité aux règles et au passé. Mais que devient l'homme avec ce Dieu qu'ils prêchent ? Alors, je me suis tourné vers le Dieu de Jésus. Jacques DUQUESNE, un journaliste chrétien vient de publier un beau livre sur le sujet. Et voilà, je découvre ce visage nouveau d'un Dieu qui laisse là son troupeau pour aller à la recherche de la brebis perdue, d'un Dieu qui abandonne tout pour chercher sous les meubles la pièce de monnaie perdue. J'ai découvert la tendresse de ce Dieu qui saute au cou de l'enfant prodigue avant même que celui-ci eut le temps de confesser sa faute. J'ai deviné aussi comment on calculait, au ciel, dans son Royaume. Il y a plus de joie pour un seul pécheur qui revient que pour nonante-neuf justes qui n'ont pas besoin de revenir. En Jésus, j'ai vu ce Dieu qui fait bon accueil aux pécheurs et même mange avec eux. Alors je me suis dit qu'il est temps de retrouver ce Dieu de Jésus-Christ qui se passionne pour l'homme, même pécheur. Il serait bon qu'on lui fasse la fête !

4e dimanche de Carême, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

Confiance en toi, confiance en moi. Retrouver la confiance au creux même de cette déchirure, alors que mon coeur baigne au risque de se noyer dans une mer de larmes qui de temps à autre viennent se mourir dans un pli de mon visage. La blessure est béante. Elle saigne et arrive si difficilement à se refermer, comme si une part de moi-même s'était affaisée, écroulée. Et voilà, que toi, trahison, tu deviens compagne de ma vie. Je ne puis t'ignorer, t'oublier. Tu es en moi, tu es là, prête à surgir au moment où je m'y attend le moins. Trahison, ennemie qui dès à présent me façonne et m'offre un autre regard, une image blessée sur mon existence. J'ai mal à mon âme et je me sens si seul, au plus profond de ma solitude. Qui peut m'aider ? L'amitié qui vient d'être trahie ? La confiance à retrouver ? Qui ? Un Père aimant qui part à la rencontre de son fils ? Un Père qui remontre le chemin de la tendresse, celle qui sommeille dans un recoin de ce que je deviens. Un Père, un Dieu, mon Dieu, qui ce soir encore me fait retrouver le sens profond du pardon, celui qui conduit à la réconciliation.

Pardonner, c'est entre autre accepter de te reconnaître, toi qui m'a fait si mal, dans ce que tu es, en ton altérité. C'est accepter de reconnaître en toi une part d'inconnaissance, d'imperfection, une sorte de nocturnité dont toi-même n'a pas pleinement la maîtrise. Pardonner, c'est ainsi ouvrir en toi qui m'a blessé un nouveau chemin sur lequel tu pourras continuer d'avancer, de vivre avec un fardeau moins lourd. C'est te permettre, je l'espère et te le souhaite du plus profond de mon coeur, d'aller à la rencontre du meilleur de toi-même. Le pardon est alors une forme particulière d'amour. C'est pouvoir continuer à dire tendrement « je t'aime », malgré la peine reçue de toi, être aimé. Jamais rien n'est perdu, tout peut toujours recommencer. Mais, il y a également dans le pardon une dimension plus personnelle et que nous oublions souvent, c'est-à-dire que j'ai aussi à me libérer de moi-même. En effet, j'ai à prendre conscience que faute de pardon, je resterai toujours hanté par un souvenir douloureux. Et ce dernier ne cessera de resserrer en moi un noeud de tristesse et peut-être de colère. Cette colère que j'éprouve à la fois contre moi-même puisque : quelque part, je me reproche d'avoir trop vite fait confiance mais également contre toi qui, outre la blessure, reste le maître de mon existence par l'emprise que tu as maintenant sur ma destinée, sur mes souvenirs, si douloureux soient-ils. Le pardon devient pour moi, dans cette dimension, l'expression, mon expression d'un farouche désir de reprendre ma liberté. Par cette démarche, j'espère pouvoir délier au fond de moi-même cette tension qui m'empoisonne la vie et me rend prisonnier de l'événement. Ainsi, arriverais-je à retrouver une certaine estime de moi, où la blessure n'aura plus le dernier mot, ma propre volonté ayant pris le dessus.

Si cette dynamique m'est donnée à vivre, alors, je peux affirmer que seule une démarche de pardon pourra éliminer cette tristesse installée entre nous. Nous éviterons ainsi une escalade dans la violence négative des sentiments qui me conduiront immanquablement à t'exclure de ma vie. Le pardon ouvre au plus intime de nous-même une nouvelle voie faite d'amitié, de tendresse où toi et moi en nous "déliant" mutuellement, nous retrouvons notre liberté et redonnons par là une certaine dignité à la relation blessée. Il sera pour nous ce passage qui va permettre d'abandonner notre passé-souffrance pour prendre possession d'un futur possible, notre futur, celui qui va libérer toutes nos forces de vie, d'amour et de tendresse, pour marcher à nouveau sur le chemin de nos existences. Alors et alors seulement, nous vivrons entre nous ce que nous appelons la réconciliation. Cette dernière, à l'image de la parabole du fils prodigue trouve, avant tout sa source, dans notre relation à Dieu, notre Dieu, Père de tendresse et de miséricorde. En lui, en prenant le temps, nous puiserons la force pour dépasser ce qui nous semble impossible humainement. L'évangile est une invitation à choisir entre l'attitude du père et du frère, ce soir, quant à moi je ne puis hésiter. Que Dieu nous donne la force de traverser ce chemin de réconciliation. A toi l'ami qui m'a blessé, je te pardonne. A toi l'ami, pardonné, je t'aime. Amen.