18ème dimanche du temps ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: A
Date : 6 août 2023
Auteur: André Wénin

Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu
qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur.

(Lettre aux Romains 8,39)

Un Dieu généreux dont la parole vivifie (Isaïe 55,1-3)

Ainsi parle le Seigneur : « Vous tous qui avez soif, venez vers l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter sans argent, sans payer, du vin et du lait. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi attentivement de manière à manger de bonnes choses : vous vous régalerez de plats savoureux ! Tendez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez pour que vous viviez. Je m’engagerai en votre faveur dans une alliance éternelle : ce sont les dons bienveillants garantis à David ».

La deuxième partie du livre d’Isaïe (ch. 40–55) est une ample annonce de bonheur. En voici le cœur : déporté à cause de ses fautes, le peuple est en passe d’être libéré. Bientôt, il rentrera dans son pays où son dieu le ramènera triomphalement. Ce sera un véritable nouvel exode, car le Seigneur refera pour Israël ce qu’il a fait jadis lors de la sortie d’Égypte et pendant la traversée du désert sous la houlette de Moïse.

L’extrait proposé ce dimanche n’est d’ailleurs pas sans faire écho à l’époque de l’exode. On se souvient de ces récits qui racontent comment Dieu prend soin de son peuple sorti d’Égypte tout au long de son chemin au désert. En particulier, il veille à ce que ni l’eau ni le pain ne lui manquent. Chaque matin, la manne apparaît à la surface du désert. Quant à l’eau, une antique légende juive basée sur un passage du livre des Nombres (21,16-18) raconte comment un puits accompagnait le peuple pour qu’il trouve de quoi boire à chacune de ses étapes (Paul y fait écho dans sa première lettre aux Corinthiens, ch. 10, v. 4 où il applique la légende au Christ : après leur sortie d’Égypte, « [nos pères] buvaient à un rocher spirituel qui les suivait – ce rocher, c’était le Christ »).

C’est cette thématique « boisson et nourriture providentielles » que le prophète reprend ici. À ses yeux, la boisson et la nourriture dispensées par la générosité divine sont disponibles en permanence, et gratuitement. Le Seigneur y insiste : même pour qui n’a pas de quoi payer, l’eau, mais aussi le vin et le lait sont là, et on peut les recevoir non seulement sans argent mais aussi sans la fatigue qui permettrait de le gagner ; les bonnes choses, les mets succulents aussi sont à disposition. Bref, pas seulement de quoi se sustenter, mais de quoi se rassasier en se faisant plaisir comme lorsque l’on participe à un banquet de fête gracieusement offert.

Mais que viennent faire les appels répétés à l’écoute dans un tel contexte ? En réalité, ils donnent la clé de ce qui précède. À cette lumière inattendue, en effet, le don de vivres apparaît comme une métaphore : la nourriture et la boisson, celles qui entretiennent la vie et lui donnent du goût au point d’en faire une fête, c’est la parole du Seigneur. Dans le livre du Deutéronome, Moïse disait déjà qu’au désert, en accordant la nourriture à son peuple, le Seigneur lui enseignait que l’être humain ne vit pas que de pain, mais aussi et surtout de la parole qui sort de la bouche de Dieu. C’est pourquoi – ajoute Isaïe –, parce que cette parole fait vivre, elle mérite que l’on tende l’oreille pour l’écouter avec attention. On y percevra alors que Dieu s’engage à être bienveillant et fidèle en faveur de quiconque l’écoute, comme il l’a été en faveur de David. Et, dans la suite du chapitre, le prophète prolonge cette annonce et précise : cette bienveillance fidèle de Dieu se fait miséricorde pour ceux qui le cherchent et vont vers lui en se détournant du mal (v. 6-9) ; sa parole est efficace et donne de connaître une vie féconde (v. 10-11) ; grâce à elle, l’exode, cette marche exaltante vers la liberté et la vie, est toujours possible (v. 12-13).

Un pain donné sans mesure (Matthieu 14,13-21)

Quand Jésus apprit la mort de Jean le Baptiste, il se retira et partit en barque pour un endroit désert, à l’écart. Les foules l’apprirent et, quittant leurs villes, elles le suivirent à pied. En débarquant, il vit une grande foule, fut saisi aux entrailles pour eux et guérit leurs malades. Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent : « L’endroit est désert et l’heure est déjà avancée. Renvoie donc la foule : qu’ils aillent dans les villages s’acheter de la nourriture ! » Mais Jésus leur dit : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Alors ils lui disent : « Nous n’avons ici que 5 pains et 2 poissons ». Jésus dit : « Apportez-les moi ». Puis, ordonnant à la foule de s’asseoir sur l’herbe, il prit les 5 pains et les 2 poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ; il rompit les pains en morceaux, il les donna aux disciples, et les disciples à la foule. Ils mangèrent tous et ils furent rassasiés. Ils ramassèrent les morceaux en trop : 12 paniers pleins. Ceux qui avaient mangé étaient environ 5 000, sans compter les femmes et les enfants.

La scène de la « multiplication des pains » est très connue. Elle est d’ailleurs rapportée pas moins de six fois dans les évangiles : deux chez Matthieu et Marc, une chez Luc et Jean ! Il y a cependant des différences entre ces récits, dues essentiellement à la portée symbolique que les évangélistes désirent souligner. L’extrait du jour est la première des deux version de Matthieu – la seconde se trouve en 15,30-39. Ces deux récits de Matthieu sont liés à des guérisons, un trait davantage développé en 15,30-31.

Une différence sensible entre les deux récits se niche dans les chiffres. Ici 5 000 personnes sont nourries, là 4 000 ; ici 5 pains et 2 poissons, là 7 pains et quelques petits poissons ; ici 12 paniers de reste, là 7… Il est toujours difficile d’interpréter les chiffres, mais il n’est pas interdit d’essayer. Dans la première scène, les « 5 » pourraient faire allusion aux 5 livres de la Torah de Moïse (à nouveau le symbolisme de la parole comme nourriture) tandis que le « 12 » renverrait aux 12 tribus d’Israël et aux 12 apôtres que Jésus a envoyés « vers les brebis perdues de la maison d’Israël » pour guérir comme lui toute maladie en signe de la venue du Règne des cieux (voir 10,5-8). Le récit serait alors une figure de la mission au peuple juif (le chiffre 1000 vise la multitude). Dans le second récit, le chiffre 4 pourrait évoquer les 4 directions de l’espace, alors que le 7 qui évoque la perfection du don peut aussi rappeler les « 7 » chargés du service des tables pour que les « grecs » ne manquent de rien, selon Actes 6,1-6. Il s’agirait alors d’évoquer la mission aux païens, ce que confirme le fait que la foule est composée de gens qui « rendent gloire au dieu d’Israël » – une expression qui laisse entendre qu’ils ne font pas partie d’Israël[1].

Au début de l’extrait lu ce dimanche, Jésus s’en va à l’écart quand il apprend la mort de Jean le Baptiste. Il s’était déjà retiré de Judée en Galilée lorsqu’on lui avait annoncé que Jean avait été arrêté (voir 4,12). Or Matthieu vient de raconter l’exécution du Baptiste comme une annonce de celle de Jésus. Celui-ci s’éloigne donc des lieux où l’on persécute les prophètes et où il aura à affronter la mort. Mais s’il veut se faire discret, la foule « le suit », dans une attitude de disciple. En la voyant, Jésus ne se dérobe pas à sa mission : en rendant la vie aux malades, il manifeste que le dieu des pauvres est un roi qui se fait proche et prend soin d’eux. Ensuite, quand les disciples se soucient de les nourrir et proposent que ces gens s’en aillent pour acheter ce qu’il leur faut, Jésus les renvoie à eux-mêmes, au peu qu’ils ont : c’est de leur indigence, mais donnée en un geste de partage, que viendra l’abondance, évoquée par la profusion de ce qui reste. En cela, la scène est une image de la mission des disciples : avec le peu qu’ils ont, donner ce qu’ils n’ont pas, mais qui vient de Dieu…

Dans ces textes, les mots « multiplier » ou « multiplication » sont absents, de même d’ailleurs qu’un mot quelconque désignant un « miracle » : le titre traditionnel met donc sur une fausse piste. Ce que fait Jésus dans cet endroit désert, c’est imiter Moïse grâce à qui le peuple d’Israël est nourri pendant sa traversée du désert, mais aussi le prophète Élisée qui nourrit 100 personnes avec 20 petits pains d’orge (2 Rois 4,42-44). Cependant, les verbes utilisés ici sont différents et surtout plus précis : Jésus prend la nourriture que les disciples lui apportent ; il prononce une bénédiction, reconnaissant ainsi que cette nourriture vient du Dieu qui donne la vie. Puis il rompt les pains en morceaux et les donne aux disciples, pour les gens. Il n’est guère difficile de reconnaître ici les gestes de Jésus à la dernière Cène – un autre repas situé le soir. Ces gestes, les disciples les prolongent en direction de la foule. C’est aussi une façon de figurer leur mission future : avec la parole qui fait vivre, donner le pain à travers lequel Jésus se donne lui-même en nourriture.


[1] Les poissons me laissent perplexe. Serait-ce une subtile allusion à Josué « fils de Noun » (= poisson) dont Jésus porte le nom ? Cela opérerait un autre lien avec l’Ancien Testament et anticiperait le moment où Jésus se donne lui-même en nourriture… Mais il s’agit peut-être tout simplement de souligner la générosité du don de nourriture et donc de vie : Jésus donne bien plus que ses prédécesseurs dans l’Ancien Testament, Moïse et Élisée (voir plus loin).

 
Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin